Il est question, depuis plusieurs jours, de verser aux prestataires de soins une prime.
D’un point de vue personnel, évidement cette prime nous serait très utile. Mais là n’est pas la question. Depuis plusieurs semaines maintenant, nous avons mis notre individualité entre parenthèses et cela pour dispenser les soins au plus grand nombre. Cela dans des conditions de travail peu sécuritaires.
Ce n’est plus un problème individuel. La solution doit être collective.
Aujourd’hui, nous percevons cette prime comme un affront.
Un affront envers tous les travailleurs du COVID-19. Toutes les personnes qui dans l’ombre maintiennent notre pays fonctionnel et cela à bout de bras en prenant des risques. Nous pensons aux chauffeurs de bus, caissières, livreurs, policiers, ambulanciers, pompiers, et tant d’autres… Sans parler de nos collègues qui ne sont pas issus du secteur hospitalier !
En tant qu’association infirmière, nous voulons une prise de conscience de la réalité de notre profession d’infirmier par les responsables politiques, et les citoyens. Pas juste des applaudissements et une prime ponctuelle. Le public et les politiques doivent prendre conscience qu’être infirmier, ce n’est pas une vocation… C’est une profession ! Et il va bien au-delà de ce que l’inconscient populaire imagine ou que les médias en montrent. Nous avons désormais 4 ans de formation scientifique et technique. Il est fini le temps des nonnes ! Et ceci, sans parler de l’année de spécialisation supplémentaire nécessaire pour de nombreux services, dont, entre autres, les soins intensifs…
L’encadrement infirmier satisfaisant est un point crucial permettant la qualité et la sécurité des soins. Cela se traduit par une diminution des morts ou des patients présentant des aggravations de l’état de santé en intra-hospitalier lorsque l’encadrement est adapté à a charge de travail (1, 2, 3, 4). Au cœur de cette crise, cela se marque également par une fatigue accrue et des risques de brèches d’attention générant des erreurs pouvant non seulement impacter les patients, mais aussi nous-même, soignants qui tombons malades, voire mourrons, comme cela est déjà le cas ailleurs. Et cette mort potentielle liée à notre fonction est une première ! Aucun de nous n’en avait conscience à ce point.
En conséquence, nous demandons une amélioration de l’encadrement infirmier. Aux soins intensifs, mais aussi dans les autres secteurs. Si l’étude NAS (5) a montré les lacunes d’encadrement à l’USI, cela est sans aucun doute vrai également pour les unités classiques, dont les normes sont encore plus vieilles, obsolètes et dangereuses.
Nous voulons également une reconnaissance de la nécessité des spécialisations. Cette crise a mis en exergue l’importance des spécialisations pour la prise en charge de ces patients spécifiques. Les compétences propres et l’expertise de l’infirmier SISU sont au cœur de la gestion des ressources humaines.
En conclusion :
Une prime unique? C’est non !
Ne perdons pas de temps avec cela pour le moment.
A l’heure actuelle, ce que le secteur attend, ce sont des ressources matérielles.
Et demain, des changements fondamentaux et structurels sont plus que jamais nécessaires.
(Nous nous garderons de vous dire « je te l’avais dit »)
Intensivement,
Joséfine Declaye et Yannick Hansenne, RN, CCRN, MSc.
Références :
- Ball JE, Bruyneel L, Aiken LH, Sermeus W, Sloane DM, Rafferty AM, RN4Cast Consortium et al (2018) Post-operative mortality, missed care and nurse staffing in nine countries: a cross-sectional study. International Journal of Nursing Studies 78:10-15. doi.org/10.1016/j.ijnurstu.2017.08.004
- Aiken, L. H., Sloane, D. M., Bruyneel, L., Van den Heede, K., Griffiths, P., Busse, R., … & McHugh, M. D. (2014). Nurse staffing and education and hospital mortality in nine European countries: a retrospective observational study. The lancet, 383(9931), 1824-1830. doi: 10.1016/S0140-6736(13)62631-8
- Cho, S. H., Kim, Y. S., Yeon, K. N., You, S. J., & Lee, I. D. (2015). Effects of increasing nurse staffing on missed nursing care. International nursing review, 62(2), 267-274. DOI: 10.1111/inr.12173
- Tubbs-Cooley, H. L., Mara, C. A., Carle, A. C., Mark, B. A., & Pickler, R. H. (2019). Association of nurse workload with missed nursing care in the neonatal intensive care unit. JAMA pediatrics, 173(1), 44-51. doi: 10.1001/jamapediatrics.2018.3619
- Bruyneel, A., Tack, J., Droguet, M., Maes, J., Wittebole, X., Miranda, D. R., & Di Pierdomenico, L. (2019). Measuring the nursing workload in intensive care with the Nursing Activities Score (NAS): A prospective study in 16 hospitals in Belgium. Journal of critical care, 54, 205-211. doi: 10.1016/j.jcrc.2019.08.032
- Organisation Mondiale de la Santé, La situation du personnel infirmier dans le monde 2020, Résumé d’orientation, 7 avril 2020